Des Disciples De Goliath

Des Disciples De Goliath Staffordshire Bull Terrier

Staffordshire Bull Terrier

Et si vous en appreniez un peu plus !?!?



Staffordshire bull terrier

Le Staffordshire bull terrier : l'histoire

par Centrale Canine*



Les variétés issues du concept hybride de « Bull and Terrier » sont le fruit de la rencontre orchestrée au XIXe siècle, dans le contexte historique de la révolution industrielle britannique marquée notamment par l'urbanisation accélérée et la prolétarisation de la classe ouvrière, entre deux types canins au départ bien différents, le bulldog et le terrier anglais. 

Les combattants

A la fin du XVIIIe siècle, sont cités d’un côté les terriers, à la campagne spécialistes de la chasse et du déterrage des petits prédateurs (renard et blaireau), et pouvant remplir aussi, y compris en ville, la fonction de ratier ; contrairement à l’écossais généralement plus bas sur pattes et à poil dur, le modèle anglais courant est de morphologie médioligne et à poil court. 

Bull baiting, Londres, 1816.

Et d’un autre côté, sans qu'aucune connexion entre eux ne soit encore mentionnée à ce stade, le bulldog, un chien de combat : l’office de chien de boucher, utile pour manipuler et immobiliser les bovins à l’abattage (la fonction étant citée dès l’Antiquité), a généré un pendant spectaculaire, le bull baiting ; l’Angleterre n’a pas l’exclusivité de ces combats entre taureaux et chiens, où il s’agit pour ceux-ci de s’accrocher à son mufle et le faire tomber sur les jarrets, mais ils y sont été populaires dès le Moyen-ge puis très en faveur à la cour des Tudor.

Combat au Westminster Pit à Londres

Cette pratique a ainsi fait émerger une nouvelle variété de molosse de taille moyenne, optimisée pour la fonction : avec un centre de gravité bas, le risque pour le bulldog d’être soulevé par le taureau est réduit ; la mandibule courbée, les mâchoires larges, les forts muscles des joues assurent la puissance de la prise; le cou très musclé permet de la tenir tout en étant secoué. Il y a aussi des combats entre chiens et ours voire d’autres animaux (ânes, singes, grands félins).

Billy, the celebrated rat killing dog

Alors que les combats de chiens contre de gros animaux déclinent, d'autres spectacles, plus simples à organiser et faisant l’objets de paris acharnés, vont connaître un fort développement à partir du XVIIIe et surtout XIXe siècle en Grande-Bretagne, combats de coqs, combats de chiens (dog fighting), ainsi que rat baiting : il s’agit pour des terriers, à qui une fonction combattante a donc été aussi attribuée, de tuer dans une fosse (pit en anglais) un maximum de rongeurs en un minimum de temps. Les rats sont fournis par les membres d’une profession qui a pour utilité de limiter, dans l’insalubrité des villes, la prolifération ratière : le rat catcher (la reine Victoria elle-même ayant son attrapeur de rat attitré), qui élève parfois lui-même des rats pour les revendre.

Le public de ces spectacles, qui se tiennent dans les arrière-salles de tavernes, rassemble plusieurs catégories sociales : membres du prolétariat urbain, mais aussi bourgeois et aristocrates qui y parient de fortes sommes. Mais les mentalités vont commencer à évoluer : certains clergymen et écrivains critiquent l’indignité et la cruauté en particulier du bull-baiting, spectacle très violent où il arrive que les chiens soient éventrés voire projetés dans le public. En 1824, la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals est fondée ; en 1835, son action de lobbying conduit au Cruelty to Animals Act, loi qui stigmatise lamaltraitance envers les animaux et interdit leurs combats, condamnant organisateurs de combats et tenanciers de tavernes à des amendes.

Westminster Pit, Londres, 1820

En conséquence le bull baiting régresse, se maintenant jusqu’à la fin du XIXe siècle dans le nord et l'ouest de l'Angleterre. Mais le rat baiting et le dog fighting ne disparaissent pas, faciles et peu coûteux à organiser dans la semi-clandestinité. Ils connaissent même un certain essor : dans les Midlands, ce Black Country de l'ouest fortement industrialisé au cours du XIXe siècle, noir de ses mines de charbon et de la fumée de ses hauts fourneaux, ils sont très prisés des mineurs et ouvriers des fonderies, pour lesquels ce sont des divertissements économiquement accessibles, voire une source de revenus. Quant à la capitale, Londres compte au cours du siècle plus de 70 arènes de rat baiting.

Hybridation

Le développement du dog fighting va s’appuyer sur le type bull and terrier, qui avait cependant émergé dans un autre contexte utilitaire : le déterrage du blaireau et son équivalent spectaculaire, le badger baiting

?Badger baiting?, Henry Alken, Londres, v. 1824.

Le blaireau étant l’adversaire le plus dangereux des terriers, il s’agissait, en les croisant avec des bulldogs, de leur conférer de la puissance, mais sans trop augmenter le gabarit pour qu’ils puissent toujours se faufiler dans les boyaux souterrains. Notons au passage qu’au départ, de tels mixages ne sont pas forcément tous intentionnels, car la raciation canine précynophile est foncièrement opportuniste; certains sujets nés d’accouplements non dirigés peuvent s’avérer constituer un gain de fonction pour tel ou tel emploi, ce constat orientant ensuite une sélection volontaire.

A la fin du XVIIIe siècle, le duc de Hamilton est un amateur passionné de chiens de combats, ainsi que son ami le comte de Derby. Dans les pits de Preston et Liverpool, leurs chiens sont souvent vainqueurs. Le duc de Hamilton sélectionne sa propre lignée de chiens de combats ; il est réputé avoir introduit des terriers dans sa souche de bulldogs. Les croisements bull and terrierdeviennent particulièrement courants dans les années 1810.

?Dog fight?, Londres, Henry Alken, 1828

Or adjoindre la puissance du bulldog à l’impétuosité du terrier, tous deux en outre de tempérament très pugnace, s’avère efficace, non seulement pour le badger baiting, mais pour « l’intérêt » des combats de chiens : la première prise peut s’avérer stratégique, et les hybrides bull-terrier sont plus rapides que le bulldog à saisir leur adversaire, explique l’historien George R. Jesse (Researches into History of the British Dogs, 1886) ; et la vivacité des chiens rend globalement le combat plus spectaculaire.

Dustman, bull terrier, à William Disney

Notons que si les combattants sont sélectionnés sur l'affaiblissement du rituel social qui dans l'espèce canine, préside à l'apaisement des conflits, et conditionnés à se battre contre des congénères dans un contexte toujours identique, l'agressivité envers l'homme n'entre pas dans cette sélection ni cet apprentissage.

?Staffordshire bull terrier belonging to the Rev. John Gower?. J. M. Crossland, 1851.

Le journaliste et écrivain Egan Pierce évoque le « bull-terrier », une « nouvelle race », dans les premières Annals of Sporting (1822) : il est plus grand et puissant qu’un terrier, mais plus intelligent et vif qu’un bulldog et plus « showy » que les deux, et les jeunes gens à la mode commencent à s’en enticher. L’office de combattant que certains lui attribuent n’est d’ailleurs pas du goût de tous ses amateurs. Dans Biographical sketches and authentic anecdotes of dogs (1829), le naturaliste Thomas Brown déplore que cet excellent chien de blaireau, par ailleurs intelligent et bon compagnon, ait été dévoyé dans les combats de chiens, pratique à considérer « avec horreur » ; il rapporte que le célèbre écrivain Sir Walter Scott lui a confié que le chien le plus intelligent qu’il ait jamais eu était son bull-terrier Camp, à qui il avait appris à comprendre de nombreux mots. Notons que dans son ouvrage précité, George R. Jesse traite les organisateurs de combats de « ruffians ».

Le bull-terrier, Ed. James, Terrier dogs, 1873. archives.org

Le bull-terrier est utilisé aussi pour d’autres affrontements, dans le rat baiting notamment et la dératisation en général car « personne n’est plus passionné » que lui dans la destruction des rats, rapporte l’auteur Ed. James (Terrier dogs, 1873), qui note qu’il fait aussi un bon gardien, ainsi qu’un chien de maison « plus traitable » que le bulldog et à l’apparence « plus engageante ». Il précise que les meilleurs viennent du nord de l’Angleterre, Yorkshire et Staffordshire. 

En cynophilie

Le morphotype du bull-terrier précynophile est celui d’un chien de petite taille puissant, mais moins épais que le bulldog, aux traits plus ou moins molossoïdes selon les cas : le type du Staffordshire actuel, tête large, chanfrein plus long que celui du bulldog, mandibule non courbée, se rencontre dès le début des mixages. Davantage que l’American Staffordshire et plus encore le Bull Terrier actuels, il peut être considéré comme le plus proche de l'aspect initial des produits de cette sélection mixte.

Amos Smith avec Butch, Neville Faulkner avec O?Rooney

A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, alors que comme on l’a vu, ils avaient déjà gagné d’autres amateurs que ceux des combats et que le dog fighting est en voie de déclin, perdurant de façon marginale et de plus en plus clandestine (mais plus longtemps dans le Black Country qu’ailleurs), ces chiens trouvent dans la cynophilie naissante de nouveaux adeptes. Ceux-ci vont s’attacher à sauvegarder et réorienter ce patrimoine canin. Une standardisation des formes et une nouvelle sélection, déconnectées du contexte originel, se mettent en place. S’il existe des sujets de taille diverse, la cynophilie s'intéresse d’abord davantage aux plus grands. La race Bull Terrier est façonnée, avec l’objectif de la démarquer nettement de l’aspect des anciens combattants de dog fighting, au moyen d’apports divers pour gagner en élégance. Il est officialisé dès 1873 sous son nom actuel. 

Joe Mallen avec un coq de combat et Stowcote Pride.

Pour le Staffordshire, la légitimité cynophile va se faire beaucoup plus attendre. Si les sélectionneurs du Bull Terrier entendaient se démarquer du style du chien de combat, d'autres s'attachent ensuite à préserver une ancienne apparence dont l'image reste davantage liée au monde ouvrier, et qui avait essaimé aussi en Ecosse et en Irlande. En 1933, un article dans la revue Our Dogs évoque ces chiens des mineurs du Black Country, notant qu’ils ne sont pas reconnus. 

Joseph Dunn et Lady Eve

En 1934, deux fervents amateurs, Joseph Dunn, secrétaire de la Birmingham Show Dog Society, et Joe Mallen, tenancier du pub Old Cross Guns à Cradley Heath (West Midlands), se rencontrent et décident de faire tout leur possible pour promouvoir cette variété auprès du Kennel Club. Début 1935, ils organisent un rassemblement au Conservative Club de Cradley Heath, où 27 sujets sont présentés, et décident de former un club.

Jim The Dandy.

Ces pionniers du Staffie moderne auraient souhaité que leur protégé soit désigné comme « Original Bull Terrier », en rapport avec leur souci de préserver cet ancien type. Le Kennel Club accepte de reconnaître la race mais pas sous ce nom - qui aurait sans doute fort indisposé les amateurs du Bull Terrier. Le Staffordshire Bull Terrier fait donc son entrée dans la cynophilie officielle en 1935, et 147 sujets sont inscrits au Stud Book. Un standard est rédigé, prenant pour modèle Jim the Dandy à Jake Shaw. Le président du Staffordshire Bull Terrier Club est J. T. Barnard, le secrétaire Joseph Dunn. Sa première exposition sous cette appellation se tient en août 1935 à Cradley Heath ; 60 spécimens sont présentés, montrant logiquement à ce stade des disparités de type assez importantes. 

 

Le cheptel moderne se développe à partir de six lignées nommées selon le sujet considéré comme fondateur : M Line (la plus influente) pour Brindle Mick à Joseph Dunn, L Line pour Game Lad à Bill Boylan, autre éleveur très influent des débuts cynophiles de la race, J Line pour Fearless Joe à Harry Pegg, B Line pour Rum Bottle à Tommy Westall, R Line pour Ribchester Max à A. F. Cole, C Line pour Cinderbank Beauty à B. Hardwicke. Les deux premiers champions sont en 1939 Lady Eve, dont Joseph Dunn est l’éleveur et propriétaire, et Gentleman Jim (fils de Brindle Mick), produit par Dunn et appartenant à Mallen. 



Après la seconde guerre mondiale, qui porte un coup à la race comme à toutes les autres, elle reprend toutefois rapidement son essor, avec 1097 inscriptions au Kennel Club en 1945. Le Staffordshire Bull Terrier va ainsi accéder à la popularité, pour devenir un des chiens de famille les plus appréciés des Britanniques. C’est aussi la mascotte du régiment du Staffordshire. Cette tradition prend sa source en 1882, avec une histoire touchante : devant se porter au secours des troupes britanniques assiégées à Khartoum dans le contexte de la guerre anglo-égyptienne, le régiment prend le train au Caire, accompagné par Boxer, son chien de type bull-terrier. Mais alors que le train démarre, le chien en saute. Le régiment arrive à Assiout, où il attend plusieurs jours ses derniers ordres ; les soldats voient alors arriver Boxer, épuisé, qui a suivi la voie ferrée pendant plus de 300 km pour retrouver ses maîtres. Le régiment a toujours eu ensuite un Staffordshire comme mascotte, chacun nommé Watchman à partir de la 2e guerre mondiale ; et même si le régiment a été amalgamé en 2007 à une autre entité militaire, l’association qui en perpétue le souvenir a toujours son Watchman à ses côtés, comme symbole d’indéfectible fidélité.